Interview With Camille Aurel

Medardo Rosso Medardo Rosso Medardo Rosso, Issue 6, December 2021
https://italianmodernart.org/journal/issues/medardo-rosso/
Abstract

Interview with Rosso by Camille Aurel in the artist’s atelier, published in the book Rodin devant la femme, Maison du Livre, Paris, 1919.

Please scroll down to view the translation of this interview.

Le cas Rodin-Rosso

Michel-Ange à qui l’on disait qu’il avait beaucoup pris à Andréa Verrocchio répondit: «  Oui, mais quand je vole, je tue. »

Rodin n’a pas tué l’homme auquel il a tout pris: Médardo Rosso est resté debout.

Parlez-moi de Rosso, écrivis-je à Rodin quelques mois avant sa mort, (sans le savoir si bas). —Trop tard— « Si vous saviez comme Rodin est diminué dans sa vie, me dit Judith Cladel, vous ne l’interrogeriez plus.  »

— Parlez-moi de Rodin, dis-je à Rosso, lorsque Rodin vivait encore (Septembre 1917) — Je n’ai rien à en dire, dit Rosso. Quand je veux un objet, je vais à la fabrique. Un artiste n’a pas de succursale. Il faut être sur la bonne route. Rodin est encore sur une route de métier. Il fait (encore) la statue. Il n’y a pas de statue. Rien n’est statue. »

— Certes, Rosso, le geste est constamment en état de passage, mais il y a le geste additionnel de vie. Et il y a le geste paroxyste, né, dit-on, de la femme. Ce geste-là nous vient bien de Rodin. Mais c’est Rosso qui en a été le départ, c’est lui qui fit montrer Rodin dans ce train-là.

« Nous sommes des cas de lumière dit Rosso. Tout n’a qu’un jour et ne peut être vu que sous un jour On ne peut pas tourner autour. »

Rosso semble avoir conquis sa force sous l’affront, sous la cravache d’un auteur auquel il en crut trop. On ne crée pas sans quelque engouement enfantin. Il eût fallu qu’après avoir été décroché par le mot qu’on va lire, Rosso le rejetât au creuset, et repartît non de ce mot, mais de ce qu’il lui avait fait rendre. Et cependant sans démériter il s’y tint, et sans limitation d’esprit ni de facture. C’est déjà fantastique. Mais il y perdit la fécondité: Un monde, où peut-être attendait son paradis manqué. 

Baudelaire l’avait souffleté par ce mot: « La sculpture est un art inférieur condamné à ne jamais pouvoir égaler la peinture et à demeurer au rang des simples arts décoratifs, sans son impuissance à produire l’ambiance, l’atmosphère, le mouvement, la lumière et la vie de figures ».

Rosso releva ce défi. La lumière est tout, dit-il. Et nous pouvons tout, en couleur avec le noir sur blanc. Rosso peuple, dirais-je, la solitude désertique des statues. Il enveloppe ses figures, les baigne du reflet des faiblesses et des déprédations qu’y impriment les autres vies. Il entame l’être par l’être, il ébrèche la vérité sauvage d’une âme par le voisinage des autres 1. Et cependant au milieu de la foule, mordue, effacée par le pullulement qui offense chaque visage, on voit sa « concierge en omnibus » prendre malgré la foule, et sur la foule, par l’attention que lui donne l’artiste, une plus grave autocratie, plus hargneuse, comme fortifiée par l’obstacle, et dirais-je, plus débusquée que ne peut l’être une statue, seule sur piédestal claquemurée dans sa beauté. 

Tant les figures de Rosso sont dans l’ambiance de l’air, tant la couleur y est à la fois intime et mordue, volante et pénétrante, san les encrassements qu’a «  le plus clair pinceau » tant elle est subtile et passe dans l’entour, que j’arrive à ce paradoxe devant cette concierge en omnibus: On ne peut peindre qu’en sculpture, avec tant d’idéalité terrienne.

De cet abus génial, de ce fauve de vérités plastiques, dont Rosso leva les écluses, comment Rodin n’eût-il pas profité, lui flairer de tout ce qui dégageait la vie hors des gourmes de la formule ?

« Je ne sais, dit Rosso, si Rodin, m’admira. Mais il ne m’a pas dédaigné. »

Le mystère est ceci: Lequel des deux d’abord, vit une œuvre de l’autre? L’âge ne nous suffirait pas.

Rosso a quinze ans de moins que Rodin, mais Rosso put être précoce. Rien n’est plus important que les chiffres et les preuves. 

 

Translation

 

The Rodin-Rosso Affair

When Michelangelo was told that his works had taken a great deal of inspiration from Andrea Verrocchio, he responded: “Yes, but when I steal, I kill”.

Rodin did not kill the man from which he took everything: Medardo Rosso is still standing.

Tell me about Rosso, I wrote to Rodin, just a few months before the latter’s death (unbeknown of his poor health)— too late— “If you knew how much Rodin’s forces have diminished, you wouldn’t ask him any more questions.”

“Tell me about Rodin”, I said to Rosso, while the former was still alive (September 1917)— “”I have nothing to say”, said Rosso. “When I want an object, I go to the factory An artist has no branch office. It is essential to be on the right road. Rodin is still on the road of métier. He is (still) doing statuary. There is no statue. Nothing is statue”

Of course, Rosso, gestures are constantly in a transient state, but there is also the additional gesture of life. And there is also the paroxysmal gesture, which was “born”, as it were, from women. That gesture most certainly comes to us from Rodin. However, Rosso was the starting point: for he made Rodin pursue that vein.

“We are incidents of light.”, says Rosso. “Everything has only one day and can only be seen from the point of view of a single day. You cannot go around it.”

It seems that Rosso has drawn his strength from insults, from the whip of an artist in which he places too much faith. One cannot create without having some silly childish infatuations. This conceit would be broken after Rosso was awoken from the comment that you will read shortly. Rosso threw him onto the ash heap, and started anew, using as his basis not the comment itself, but rather what it made him create. Yet he still held on to the judgement, without spiritual or technical limitations. Already a fantastic thing. But he lost his productivity: a world where perhaps his ultimate goal awaited him.

Baudelaire struck him with these words: “Sculpture is an inferior art, doomed to never equal painting, cursed to remain on the level of simple decorative arts, with its powerlessness to capture ambiance, atmosphere, movement, light, and the life of the figure.”

Rosso took up the challenge. “Light is everything”, he said. And we can do all of it in colour, or black on white. I would say that Rosso populates the uninhabited solitude of statues. He envelops his figures, wetting them with the reflections of the frailty and depredation imprinted on them by other lives. He splices life with life, he strikes the naked truth of a soul by placing it near other souls 2. And yet in the midst of the anonymising crowd, erased by the throng that attacks singular face, we see his “Concierge en omnibus”. Despite the crowd, she takes on a more autocratic, aggressive appearance, almost as if strengthened by the obstacle in which she finds herself. More exposed than a statue could ever be, immured alone with her beauty on a pedestal.

Rosso’s figures are both immersed the ambiance of the air and bursting with intimate, biting, penetrating, flying color, yet without the sullying qualities of the “brightest brush”. The “concierge en omnibus” so subtly inhabits its surroundings that it brings me to ponder the following paradox before it: one can only plaint through sculpture, making use of one’s down-to-earth idealism.

Concerning this brilliant abuse, this sculptural beast that Rosso unleashed, how could Rodin not take advantage, how could he not steal everything that freed life from its predestined paths?

“I do no know” said Rosso, “If Rodin admired me. But he did not disregard me”

This is the mystery: Which of these two artists experienced the work of the other first? Their ages will not suffice in determining this matter.

Rosso is fifteen years younger than Rodin, but he could have been precocious. Nothing is more important than numbers and proof.

  1. Rien ne désigne mieux cet état que ce mot d’Harlor : Ma santé fleurit un peu chaque fois qu’un membre de ma famille quitte ma maison. Plus on est de gens plus on souffre.
  2. Nothing better describes the state of being better that following sentiment, written by Harlor: My wellbeing flourishes a bit each time that a member of my family leaves the house. The more we are together, the more we suffer.
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